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Retour sur une rencontre avec Danielle Elisseeff



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Le 15 septembre 2023, nous accueillions à la librairie Danielle Elisseeff, chercheuse et enseignante réputée, pour une rencontre-dédicace au sujet de son dernier ouvrage Trois royaumes : la Chine au IIIe siècle, un monde en convulsions. Nous vous proposons ci-dessous un extrait de l’enregistrement de la présentation, qui vous offrira un aperçu de ce livre. L’histoire des Trois royaumes y est à proprement parler « racontée », nous plongeant dans la tourmente du IIIe siècle…

 

Par rapport à la très longue histoire chinoise, quand arrive la période des Trois royaumes et pourquoi avoir écrit sur cette période en particulier ? Pour aller un peu plus loin dans ma question, est-ce que les trois royaumes sont à comprendre comme étant un « trou » dans l'histoire impériale chinoise, ou est-ce un peu plus que cela ?

Un trou, oui d'une certaine façon, mais les Chinois vous le diront, c'est toujours dans le vide que se créent les choses et c'est de cette période de chaos absolu qu’est sortie la réunification de l'empire. Un empire qui n'était plus celui, antique et grandiose, dont vous connaissez tous l’existence. Je parle ici de l’empire des Han qui, après avoir duré déjà 400 ans, s'effondre, ce qui rend possible une transformation de la société. C'est en cela que c'est un moment intéressant.

Ce sujet a surgi tout d'un coup en parlant avec l’éditeur - comme quoi les éditeurs servent à quelque chose (rires). Il me demande ce qui se passe au troisième siècle, et quelques jours plus tard je lis dans la presse chinoise : « nous sommes devenus l’Empire du Milieu au troisième siècle, dans les conflits du troisième siècle ». J’ai alors eu le sentiment qu'il y avait comme une correspondance entre ce qui se passe dans notre monde et ce qui se passait dans ce monde-là : ce temps où les grands empires entrent en convulsions pour survivre, ou pour s'effondrer.

Quelles différences et similitudes historiques entre le « Roman des Trois Royaumes » (épopée du XIVe siècle) et les trois royaumes qui font suite à la dynastie des Han ?

Vous posez la question à une historienne… qui vous dira que le roman est un chef-d’œuvre, mais qu’il ne l'amuse pas du tout. C'est la vérité vivante, les vestiges archéologiques qui la passionnent. C'est peut-être une caractéristique qui me vient de l'enfance. Quand j'étais petite et que l'on essayait de me faire lire des contes de fées, je jetais les livres en disant : « vous vous moquez de moi, je veux la vraie vie ». Bref, j’ai les pieds dans la glaise.

Vous évoquez trois pays comme trois Chine différentes (de Wei, de Shu et de Wu), chacune s'étant développée dans un territoire à la géologie particulière. « Trois Chine » qui ne font qu’un sous la dynastie des Han, même si vous évoquez des différences qui ont, en réalité, dépassé la période des Trois royaumes.

Effectivement, l'origine est géographique. La Chine est grande comme l'Europe, à peu de choses près, donc vous avez forcément des différences entre les grandes régions qui y sont incluses depuis très longtemps et ce jusqu’à aujourd'hui.

La vallée du fleuve Jaune, comme son nom l'indique, porte un certain nombre de terres jaunes, les terres de lœss. C’est une région dont le climat est très froid l'hiver et très chaud l’été, avec des périodes de sécheresse très importantes. On y cultive du millet. C'est au Nord de cette région que se trouve Pékin, non des montagnes septentrionales d’où viennent par vagues les peuples qui ne peuvent vivre de l'agriculture. En revanche le fleuve Jaune – et ses redoutables inondations - irrigue les terres qui permettent de cultiver des céréales et de nourrir une population importante. C'est dans cette région qu’est née la civilisation chinoise que nous connaissons, c'est-à-dire une civilisation organisée selon un modèle administratif très hiérarchisé (inspiré de ce que nous nommons le « confucianisme ») qu’irriguent par ailleurs deux grands courants de pensée (le taoïsme et le bouddhisme).

La Chine du fleuve Bleu (en chinois, évidemment, il n'est pas « bleu » - j'ai repris cette appellation des diplomates français du début du XXème siècle, qui peut paraître un peu bizarre - mais en chinois il porte des noms différents suivant son parcours ; on le nomme généralement Yangzi). C’est une Chine beaucoup plus chargée d'eau, avec un climat très différent de celui du nord, où il y a en principe beaucoup plus à manger. Cet énorme fleuve descend du Tibet (comme le fleuve Jaune) et se jette dans la mer de Chine, en traversant divers territoires très différents.

Cette Chine du fleuve Bleu entre dans l'histoire complexe de ce grand pays beaucoup plus tardivement que le bassin du fleuve Jaune où se créent dès le IIème millénaire avant notre ère les premières dynasties royales.

Et enfin, il y a la région que l’on connait aujourd’hui sous le nom du Sichuan - un lieu qui au IIIème siècle (la région ne se nommait pas encore ainsi) constituait – grâce à sa structure géographique – un terrain prospère, mais difficile d’accès, donc un lieu de mystère, un lieu de brumes.

Pour saisir pourquoi on en est arrivé à trois royaumes, pouvez-vous nous expliquer le contexte de la chute de la dynastie Han ? Une perte de sens généralisée dans la morale confucéenne, des famines, la corruption systémique, les mises à feu et à sang des campagnes... le tableau que vous dressez de cette époque fait froid dans le dos.

Quand j'ai commencé ce livre, je me suis aperçue que cette violence que je décris, est avant tout la violence du nord du pays.

Les spécialistes du climat vous diront que cette période du troisième siècle est celle qui voit l'effondrement de plusieurs empires - dont l’empire Romain - à cause d’un refroidissement généralisé de l’hémisphère nord. De plus, l’un des problèmes centraux à la fin des Han est l’usure du pouvoir impérial. La dynastie des Han a duré 400 ans (de 206 avant notre ère jusqu’à 220 après l'an zéro). Citez-moi, même en Europe, un pouvoir qui après 400 ans ne commence pas à être quelque peu fatigué. On tourne toujours sur les mêmes principes, avec une administration qui tente de se maintenir sans se rénover - on voit ça même dans les républiques.

Il y a également l'usure génétique : dans le clan régnant des Han, on tend à se marier entre soi. Au bout de 400 ans, à partir du deuxième siècle de notre ère, tout se passe mal. Un souverain sur deux est déficient physique ou mental et ceux qui ne le sont pas meurent très jeunes. Cela veut dire changements constants au sein de la cour et du gouvernement, avec cette espèce de chape de plomb qui tombe sur une famille dont on se rend compte qu'elle a peut-être perdu la bénédiction des dieux.

 

Trois royaumes : la Chine au IIIe siècle, un monde en convulsions nous raconte ainsi le destin de ces hommes qui prendront le pouvoir quand le système impérial Han s’effondre. Ceci sans que jamais ne s’oublie le rêve d’une Chine unifiée.

Nous remercions chaleureusement Danielle Elisseeff d’avoir accepté de venir présenter son livre dans notre librairie, nous partageant le temps d’une soirée le fruit de ses recherches.




Bibliographie

Trois royaumes : la Chine au IIIe siècle, un monde en convulsions
20,00 €
Disponible