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Pour commencer ce bilan, nous allons parler d'un livre qui fut l'objet d'une rencontre avec Marie Laureillard et Serge Safran : Scènes de vie à Shanghai.

Ce recueil de nouvelles nous plonge dans le Shanghai des années 30, une ville très cosmopolite qui oscille entre tradition et modernité. À travers une dizaine de nouvelles, l'auteur pose son regard sur cette ville et ses habitants, sans jugements, sans morale. Nous croisons des hommes qui sont souvent malheureux en amour, décrits comme misérables, des femmes qui sont modernes, libres de leur corps, à l'allure de femmes fatales. On sent à quel point les relations hommes-femmes évoluent à tâtons car chacun cherche  sa place dans cette nouvelle modernité. Il y a aussi un grand sentiment de solitude qui se dégage de ces nouvelles. La ville est la star de ce livre, on la découvre à travers ses dancings, ses restaurants, ses transports, ses ruelles, ses cinémas… Liu Na'ou est observateur de ce nouveau monde et de la métamorphose de Shanghai. Il narre ses histoires en s'inscrivant dans le mouvement littéraire qu'il a lui-même créé : le néosensationnalisme. Ce style donne des descriptions assez saisissantes.

"En voyant sa coupe de cheveux à la garçonne et ses vêtements qui montraient des signes évidents d'occidentalisation, on pouvait aisément deviner qu'elle était un produit de la métropole moderne, mais ce nez droit et raisonnable, ces yeux vifs et audacieux étaient peu communs, même à la ville. Bien que de petite taille, elle était pourvue de courbes généreuses et de muscles d'apparence ferme. En partant de son cou et en suivant du regard le dessin de ses bras au-delà de ses petites épaules rondes, on avait l'impression qu'elle venait de s'échapper d'une toile de Derain. Mais en réalité, son plus grand atout était sa bouche nerveuse qui s'ouvrait comme une minuscule grenade trop mûre. Etait-elle mariée ? Non, à l'évidence, et certainement pas la maîtresse de quelqu'un. Une étudiante ? Elle n'avait pas l'air assez jeune...Alors que Ranqing réfléchissait à la question, il vit soudain la grenade se fendre en deux tandis qu'une voix cristalline et flûtée frappait son oreille.
- Suis-je digne d'être dévisagée de la sorte, monsieur ?
Légèrement surpris, Ranqing leva hâtivement les yeux et croisa son regard. Deux étoiles argentées lui souriaient.
- Pourquoi ne vous regardez-vous pas vous-même dans le miroir, monsieur. Vous avez un visage si charmant !"

J'ai ensuite lu Le dernier homme blanc, le dernier roman de Mohsin Hamid, un auteur pakistanais. Dans ce livre, Anders, le personnage principal, découvre un beau matin que sa peau a changé de couleur, il n'est plus blanc. Dans l'incompréhension la plus totale, il appelle son travail et, prétextant une crève, reste confiné chez lui. Mais petit à petit, ce phénomène étrange touche de plus en plus de personnes dans sa ville, et des émeutes raciales éclatent un peu partout : on cherche à tuer des personnes de couleur. Il part donc se réfugier chez son père gravement malade, le temps que tout se calme. En parallèle, il vit une histoire d'amour avec Oona, une jeune femme dont la mère crie au complot face à cette "épidémie".

On ne peut que penser à La Métamorphose de Kafka en lisant les premières lignes de ce roman. En voyant le reflet que lui renvoie le miroir, et qui est celui d'un homme qui lui est étranger, Anders subit un choc physique et psychologique, sur lui pèse le regard des personnes racistes... il est sans cesse sur le qui-vive quand les émeutes éclatent et il ne peut même pas avoir confiance en ses voisins de longue date. On assiste à tout son cheminement de pensée, comment il commence à regarder autrement les gens de couleur et à mieux comprendre leur ressenti. C'est un ouvrage qui fait réfléchir et qui montre que l'humain devrait passer avant toute couleur, avant toute origine.

"En se réveillant un matin, Anders, un homme blanc, découvrit que sa peau était devenue d'un brun profond et sans appel. Il en prit conscience progressivement, puis brusquement ; il pensa d'abord, en tendant la main vers son téléphone, que la lumière du matin avait un drôle d'effet sur son avant-bras, puis, en sursautant, il eut la conviction fugace qu'il y avait quelqu'un d'autre avec lui dans son lit, un homme, plus foncé. Mais cela, aussi terrifiant que ce soit, était évidemment impossible, et il fut rassuré de constater que l'autre bougeait quand il bougeait lui-même, que ce n'était pas une personne distincte, mais juste lui, Anders. Il en fut profondément soulagé, car si l'idée qu'il y eût quelqu'un d'autre n'était qu'imaginaire, alors à coup sûr la notion d'un changement de couleur était un leurre elle aussi, une illusion d'optique, une vue de l'esprit, née dans cet espace instable qui sépare les rêves de l'éveil, sauf qu'il avait entre-temps attrapé son téléphone et retourné la caméra dans sa direction, et il vit que le visage qui le regardait n'était absolument pas le sien."

Messieurs Ma, père et fils, fut une délicieuse surprise ! Je ne pensais pas rire autant en lisant ce roman. Les Ma débarquent à Londres dans les années 20 dans le but de reprendre la boutique d'antiquités du frère du père. Ils trouvent un logement chez les Window, mère et fille. C'est le début de leurs tribulations en Angleterre. Ils font face au mépris et au racisme des Anglais, leurs habitudes culturelles sont mises à mal et ils tombent amoureux...Ce qui est génial dans ce roman c'est que Lao She parvient à traiter de nombreux sujets avec un humour savamment dosé, un ton qui ne tombe jamais dans le pathos et une finesse d'esprit assez incroyable. Bien sûr, les différences culturelles sont au cœur de ce roman, mais c'est aussi un livre qui aborde la question du fossé entre les générations, qui se cristallise dans ces années-là en Chine. Monsieur Ma rêve de fonction publique, de piété filiale, le jeune Ma, quant à lui, pense avec un esprit plus moderne et se voit vivre autrement. La famille Window n'est pas en reste, leur nom n'est d'ailleurs pas anodin : ces deux femmes vivent emprisonnées dans une monotonie régie par les conventions sociales. Vous l'aurez compris, ce roman est passionnant !

Ce mois-ci, je suis aussi partie du côté de la péninsule japonaise en faisant un petit retour dans le passé à l'époque d'Edo avec l'ouvrage Le Japon Pré-moderne.

Dans cet ouvrage, c'est avec passion que Ninomiya Hiroyuki nous narre cette période historique précédant l'ère Meiji. Il parvient en deux cents et quelques pages à nous faire voyager à cette époque, à interroger différentes sources et diverses théories d'historiens. Il nous fait découvrir comment le Japon s'est unifié politiquement, comment ont évolué les relations internationales entre le Japon et ses voisins, puis avec l'Europe, oscillant entre ouverture et repli, acceptation et rejet. Il explique ensuite quelle structure est donnée à l'état, quel pouvoir revient au shôgunat, à l'empereur... Puis, il expose aussi dans quel contexte socio-économique se produisent tous ces changements et le foisonnement culturel que connaît le Japon à cette époque (théâtre kabuki, poésie, estampe, monde du livre). Enfin, il termine son ouvrage par deux chapitres qui montrent les terribles soubresauts qu'a connu le Japon et qui ont mené à la fin du shôgunat. C'est un ouvrage qui se lit facilement tant on sent le plaisir de l'auteur à nous narrer cette période historique. Les éditions du CNRS remettent à l'honneur ce texte, longtemps indisponible, et nous permettent de remettre la main sur ce texte, ô combien essentiel à la compréhension de l'histoire japonaise.

Du côté du pôle Jeunesse, j'ai découvert une nouveauté des éditions Hongfei : Vacances d'hiver. Un album tout doux, sans texte. Il y a juste une introduction et une conclusion mais l'auteur laisse le lecteur découvrir ses doubles-pages évocatrices de l'hiver. Il accompagne ses illustrations de petits clins d’œil à son travail et à des artistes français qu'il admire. C'est un très bel album qui nous plonge dans ce que peut évoquer l'hiver aussi bien en termes de paysage, de météo, d'activités que d'ambiance.


J'ai aussi lu la suite des aventures de Kotori au Japon avec Kotori et les grues d'Hokkaido. Cette nouvelle série lancée par les éditions Akinomé nous fait découvrir certains aspects géographiques et culturels du Japon. Nous suivons sur 4 jours la petite famille de Kotori qui se rend à Hokkaido pour observer leurs fameuses grues. Mais Kotori est vite confrontée à la mort d'une d'entre elles, ce qui lui montre à quel point la vie peut être éphémère tout en étant belle. C'est un album doux et poétique, magnifiquement illustré par Morgane Boullier.


Je vous souhaite de très belles lectures et on se retrouve pour le bilan de février !


Bibliographie

Scènes de vie à Shanghai
21.00 €
Disponible
Le dernier homme blanc
18.00 €
Disponible
Messieurs Ma père et fils
9.50 €
Disponible
Le Japon pré-moderne : 1573-1867
10.00 €
Disponible
Kotori & les grues d'Hokkaido
12.00 €
Disponible
Vacances d'hiver
13.90 €
Disponible