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Entretien avec Franck Gilardo autour de son livre "La table de riz : abécédaire sensible de l'Indonésie"



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Pourriez-vous nous raconter votre première rencontre avec l'Indonésie ?

Ma première rencontre avec l’Indonésie rime avec chaleur humide chargée de parfums.
La cigarette indonésienne kretek au clou de girofle emplissait l’air et se mêlait à l’odeur de kérosène à l’aéroport de Jakarta, un mélange bien détonnant qui annonçait un séjour où il me serait promis de ne jamais m’ennuyer. Ensuite la douceur du langage empli de beaucoup de voyelles, le sourire, l’ouverture de tous les indonésiens que j’ai rencontrés lors de cette « première fois » ont gravé à jamais en moi l’idée d’un peuple qui au-delà de toutes les différences d’apparence, de confession, de traditions issues de milliers d’îles a pourtant réussi à forger un creuset unique qui semble faire défaut aujourd’hui dans un pays comme le nôtre.

Aviez-vous depuis longtemps l'envie d'écrire un livre sur ce pays et l'abécédaire s'est-il naturellement imposé à vous comme genre d'ouvrage ?

Oui, depuis fort longtemps. J’avais commencé un journal de bord lors de mon service national en Indonésie où j’avais consigné mes expériences marquantes et puis au cours de mes nombreux voyages suivants dans les années 80, 90 et 2000 jusqu’à aujourd’hui, je n’ai plus eu besoin de rien noter tant les moments passés en Indonésie se sont imprimés dans ma mémoire et sur ma rétine. Les images et les histoires sont naturellement revenues et la forme d’abécédaire m’a semblé la plus adaptée pour deux raisons.
D’une part elle fait écho à la pluralité et diversité de ce pays archipel continent et permet de rendre justice au patchwork indonésien en donnant des clés d’entrée différentes pour aborder la culture de ce pays.
D’autre part, elle permet d’avoir une forme « carnet de voyage » en apparence disjoint mais dont on apprécie le parfum quand on referme le livre. Cette forme abécédaire permet de dire beaucoup de choses sur des sujets divers en évitant de s’enfermer dans un genre et éviter d’ennuyer le lecteur. On picore, on choisit, on se laisse surprendre, ce n’est pas formaté, c’est l’idée que je me fais du voyage.  
J’ai voulu avant tout écrire un livre qui soit à la fois utile et sensible pour celle ou celui qui se rend en Indonésie afin qu’il soit « éveillé » au préalable aux indonésiens. Beaucoup de voyageurs oublient aujourd’hui un peu trop souvent dans leur voyage les gens qui font la richesse du pays et se mettent en scène devant des lieux touristiques ou la piscine de leur hôtel qui ressemble à un autre hôtel design au Brésil ou en Thaïlande. J’ai souhaité leur donner un peu le goût de la découverte et l’envie de sortir des sentiers battus par cet abécédaire d’un genre nouveau qui mêle récits et informations.
En le lisant avant le voyage, je pense sincèrement que l’on se préparera mentalement mieux à rencontrer les indonésiens pour adopter une posture ouverte et pleine de curiosité à leur égard. En le lisant pendant le voyage on pourra comparer son ressenti d’expérience avec le mien et en le lisant après, on aura je l’espère envie d’y revenir car une vie entière ne suffit pas à « faire le tour » de l’Indonésie.
J’en profite pour remercier mon éditeur, David Magliocco de Gope éditions qui a cru en ce projet et m’a poussé à en améliorer le contenu.

Comment avez-vous réussi à vous limiter à un nombre spécifique d’entrées ? Aviez-vous des critères de sélection bien précis en tête ?

Oui et Non. J’ai voulu à la fois donner à lire des informations utiles et des repères culturels sur l’Indonésie, mais aussi, à la différence d’un abécédaire classique, des récits personnels d’aventures vécues lors de mes voyages dans l’archipel.
Le livre se lit donc à plusieurs niveaux, il est à la fois cadré et très libre.
J’ai listé certains thèmes qui me semblaient incontournables et qui figurent au début du livre pour permettre au lecteur d’aller directement lire ce qui l’intéresse : les villes et destinations principales, les volcans, la langue indonésienne, le surnaturel, les référents culinaires (eh oui ! pas que du nasi goreng en Indonésie), les faits historiques majeurs, la notion du temps qui diffère de la nôtre, les différentes façons de dire oui et non qui sont des fenêtres sur l’âme indonésienne.
Je me suis aussi laissé inspirer par les lettres de l’alphabet restées orphelines pour raconter les expériences les plus marquantes de mes nombreux séjours en Indonésie et inciter le voyageur à sortir de sa zone de confort et à vivre un voyage plus fort.
Au final, ce mode opératoire est proche de ma façon de voyager : une bonne dose de préparation qui revient aux « critères de sélection et entrées » dont vous parlez et pas mal d’improvisation pour se laisser surprendre.
Ce livre conjugue, je l’espère, cette double approche, on trouve ce qu’on cherche mais on se perd pour le plaisir de découvrir quelque chose auquel on ne s’attend pas.

Pourriez-vous expliquer le titre de votre ouvrage ?

La table de riz est la traduction française de Rijstaffel, un mot hollandais qui désigne un repas fait d’une multitude de petits plats (plus de 40 parfois) illustrant la diversité de cet archipel.
Les hollandais ont colonisé l’Indonésie et le Rijstaffel était le repas le plus élaboré pour accueillir les visiteurs de marque, le riz est central comme une pyramide au milieu de la table et les petits plats autour sont une infinie variété de saveurs, de textures, de goûts à l’instar des expériences et informations de ce livre et des îles de l’archipel.
Cette métaphore me semblait donc la meilleure façon de faire comprendre la diversité indonésienne pour devenir le titre du livre.

Est-ce que vous avez l'impression que l'Indonésie reste encore méconnue des Occidentaux (hors destination touristique) ?

Oui largement, c’est d’ailleurs assez incompréhensible. On dit de l’Indonésie que c’est le pays le plus invisible de la terre et pourtant ses limites géographiques vont, disons, de Londres à Téhéran ou dépassent les États-Unis d’est en ouest.
Quant à la destination touristique, beaucoup simplifient et résument l’Indonésie à Bali comme si la France était la Corse. Un voyagiste huppé a d’ailleurs dans son affichage des pays d’Asie inscrit Bali comme un pays et l’Indonésie comme un autre, comme si ces destinations ne faisaient pas partie du même pays.
Peu de gens savent que c’est la 4ème population mondiale, c’est un pays qui souffre de clichés réducteurs. Il faut se souvenir que l’Indonésie a été à l’origine des « pays non alignés » à la conférence de Bandung dans les années 50, il a toujours voulu « naviguer entre deux récifs » et c’est peut-être pourquoi il n’est pas facilement identifiable pour la plupart. L’Indonésie est trop riche pour qu’on lui colle une seule étiquette. De plus la multitude d’îles n’aide pas dans une vision simplifiée que l’on pourrait avoir du pays, il faut se donner la peine d’aller sur la route pour l’appréhender et pas seulement de prendre l’avion. Bali a rempli le rôle d’expression simplifiée de l’Indonésie pour les occidentaux en occultant le reste du pays.

Vous avez voyagé de nombreuses fois en Indonésie. Avez-vous remarqué que certains us et coutumes disparaissent à cause de la modernisation et de la globalisation ? Ou au contraire certains aspects de la société traditionnelle indonésienne sont encore plus accentués ?

J’ai eu la chance d’observer à trente années d’écart les mêmes rites à Flores, Java ou Sumba par exemple et donc, bien sûr cela n’engage que moi, je pense que les us et coutumes n’ont pas disparu à cause de la modernisation en raison de l’importance que les rites représentent pour beaucoup d’indonésiens. Ceci étant dit, le tourisme de masse fait des ravages et les « shows organisés » sont légion à Bali ou pour tomber par hasard sur une fête traditionnelle il faut avoir de la chance. Je ne pense pas en revanche que les aspects de la société « traditionnelle » sont plus accentués, l’Indonésie fait selon moi le pont entre le moderne et l’ancien comme peut le faire le Japon dans une culture certes différente mais qui intègre ces deux éléments.

Si vous deviez retenir trois entrées de votre abécédaire, lesquelles choisiriez-vous ?

Celle sur la notion de temps entre les mots « belum, sudah , masih, sebentar » et celle sur les formes de oui et de non de la langue indonésienne qui rendent compte de la capacité qu’ont les indonésiens a toujours garder un espace d’ouverture.
Celle sur les questions que posent les indonésiens lors des voyages que vous ferez à leur côté à condition que cela soit dans un bus ou bemo (minibus bondé) hors des sentiers battus et qui témoignent de leur volonté de toujours vouloir entrer en relation avec un inconnu non par curiosité déplacée mais par instinct de rattacher la personne à un groupe pour ne pas la laisser seule.
Celles sur les femmes indonésiennes que j’ai aimées (Nita, Iman) et sur celle que j’aimerai toujours (ma mère, Ibu Gilardo)

Votre livre est magnifiquement illustré par Sylvie Delusseau. Pourriez-vous nous expliquer comment s'est déroulé le choix des illustrations ?

Nous avons fait deux voyages avec Sylvie en Indonésie avec nos conjoints respectifs et elle a réalisé ces illustrations lors de ces voyages. Elles correspondaient toutes à des moments forts que nous avons soit vécu (l’ascension des volcans Bromo et Batok) soit à des scènes de vie (Bali, Flores, Komodo, Java) qui disent bien le ressenti de la vie indonésienne (les marchés, la danse, les petits métiers, les becak) et qu’elle a su si bien capter à la volée. Les illustrations choisies sont donc naturellement en phase avec de nombreuses entrées du livre en lui donnant ce côté « carnet de voyage » que je souhaitais.

Avez-vous d'autres projets d'écriture ?

Oui plusieurs.
J’ai un projet qui sera publié prochainement sur l’imaginaire du nom donné aux maisons de bord de mer et qui mêle photographies de mon épouse Pascale et poésie de genre haïku.
Également un recueil de 24 nouvelles sur le thème de l’Elevation dont nous aurions tous besoin en ce moment et pour lequel j’attends des réponses d’éditeurs.
Et enfin deux projets en cours, un court roman historique sur un fait méconnu de la 2ème guerre mondiale dans les alpes et un recueil de poésie en prose sur le thème du voyage en train.
J’aime avant tout pour écrire la forme courte, elle permet très vite d’aller à l’essentiel et de rêver en se donnant tout le temps pour le faire. Je suis plus photographe des mots et du sensible que cinéaste ou auteur de thriller.

Et pour conclure, nous aimons demander aux auteurs de conseiller à nos lecteurs certains de leurs livres favoris. Peut-être en lien avec l'Indonésie ?

Sur l’Indonésie, le livre référence d’Anda Djoehana pour comprendre son pluralisme ethnique et religieux (L’unité dans la diversité) et celui plein d’humour de Nigel Barley sur la folle histoire de statues de Célèbes devant voyager jusqu’au British Museum (L'anthropologie n’est pas un sport dangereux)
Pour ce qui est de mes livres/auteurs favoris, je citerai mes livres préférés de Giono (Un roi sans divertissement et Le chant du monde) et puisque j’aime les abécédaires atypiques, celui de Goffredo Parise sur le thème des émotions.
Dans un autre registre La classe américaine de Michel Hazanavicius dont on connait OSS117 mais pas forcément ce film culte à l’humour féroce qui a donné naissance au livre du même nom.
Nous avons tous besoin de rêver (Giono/Parise) et de rire (Hazanavicius), merci à eux.
Merci à vous Laura pour cet entretien et votre intérêt pour l’Indonésie et La Table de Riz.




Nous remercions Franck Gilardo pour sa disponibilité et pour avoir partagé avec nous, le temps d'un entretien, sa passion de l'Indonésie !

Franck Gilardo & Laura Raoul


Bibliographie

La table de riz : abécédaire sensible de l'Indonésie
19,95 €
Disponible