Coup de cœur pour la série : L'abomination de Dunwich
Gou Tanabe, aujourd’hui l’une des figures les plus importantes du manga horrifique, a entamé une série d'adaptations des récits de Lovecraft en 2004, intitulée Les chefs-d'œuvre de Lovecraft, dans laquelle vous pouvez déjà trouver en français : Les Montagnes hallucinées, Dans l'abîme du temps, La Couleur tombée du ciel, L'Appel de Cthulhu, Celui qui hantait les ténèbres, Le Cauchemar d'Innsmouth, Le Molosse et L'abomination de Dunwich, publiés aux éditions Ki-oon.
Nous nous attarderons ici sur la dernière adaptation en date ; L'abomination de Dunwich, que Gou Tanabe souhaitait mettre en images dès les débuts de la collection des chefs-d 'œuvre de Lovecraft.
Vous vous demandez peut-être qui est Lovecraft ? Et vous seriez en droit de vous poser la question, après tout, vous vous trouvez sur le site d'une librairie spécialisée sur l'Asie, et non sur un site dédié à la littérature américaine. Né en 1890 dans la ville de Providence en Nouvelle-Angleterre, Howard Phillips Lovecraft est définit comme "le précurseur de l’horreur cosmique, une sous-catégorie du genre où la terreur émane non pas de créatures surnaturelles ou de phénomènes occultes, mais de la prise de conscience de l’immensité vertigineuse de l’univers et de la relative insignifiance de l’espèce humaine." En effet, sa littérature est le reflet de son époque : entre industrialisation débridée et découvertes scientifiques majeures, l'auteur américain ne trouve plus de sens dans le récit de la modernité. Le youtubeur Nota Bene a récemment réalisé une vidéo passionnante sur Lovecraft et le mythe de Cthulhu, que je vous invite à visionner si le sujet vous intéresse. D'autre part, la nouvelle à l'origine de l'adaptation présentée ici, L'abomination de Dunwich, est disponible sur Spotify, lue par Patrick Blandin.
Pour vous donner les bases du récit, voici le résumé proposé par l'éditeur :
Dunwich, village en déliquescence aux confins de la Nouvelle-Angleterre, fait l’objet de nombreuses rumeurs. On dit que les cercles de monolithes au sommet de ses collines étaient jadis le théâtre de rites terrifiants… En 1913, la naissance de Wilbur est un mystère de plus sur cette terre maudite. Sa mère est une albinos aux airs de sorcière, et l’identité du père est tenue secrète par le patriarche Whateley, qui assure qu’il s’agit d’un être supérieur, différent de tout ce qu’il connaît…
Les voisins le croient fou, néanmoins le faciès animal du jeune garçon semble appuyer ses dires. Sans compter qu’il grandit à une vitesse fulgurante… À dix ans, il se met en quête d’un ouvrage ésotérique, le Necronomicon, dont il s’enquiert auprès de diverses bibliothèques. Le professeur Armitage de l’université Miskatonic, intrigué par cette demande, se rend sur place pour le rencontrer. L’intelligence de Wilbur l’impressionne, mais quand il voit les murs de l’étage se déformer sous l’effet d’une puissance inconnue, il repart la peur au ventre ! Quelles monstruosités se cachent chez les Whateley ?
Si la fusion semble aussi parfaite entre Lovecraft et Tanabe, c'est sans doute que ce dernier saisit à merveille le contexte historique et social dans lequel écrivait Lovecraft et les peurs cosmiques qui peuplaient son imaginaire. Pour cela, et il le précise dans la postface de L'Abomination de Dunwich, il a "visité beaucoup de lieux afin de dépeindre au mieux l'ambiance oppressante de ce village maudit et la peur qu'inspirent les Whateley. J'ai marché de nuit dans la montagne, je me suis enfoncé dans de sombres forêts et j'ai arpenté des villages désolés. Pour m’imprégner de la terreur qui s'empare du Dr Armitage et d'Earl Sawyer... Pour ressentir l'insignifiance de l'être face à l'immensité du cosmos...".
Cette ambiance dont il parle, il la rend aussi tangible grâce à un ensemble de détails, allant du dessin au découpage. Le dessin est réaliste et précis. Il se rapproche davantage d'un dessin dit "occidental" que de celui qu'on attribue plus largement au manga. Chez Tanabe, les proportions sont conservées de manière réaliste aussi bien dans les paysages que dans les personnages et participent pleinement à l'immersion dans l'histoire. Ce réalisme se retrouve dans les expressions des visages et traduit pleinement les émotions de dégoût, d'incompréhension, de folie ou encore de terreur par lesquelles passent successivement les protagonistes. Les sensations liées aux bruits et aux odeurs, omniprésentes dès le début du récit, accentuent elles aussi la plongée dans la déchéance de cette région reculée et de l'infamie qui s'y répand. Les contrastes, visuels comme psychologiques, sont marqués avec force. Les choses que l'on cache peuvent ainsi se mêler au noir profond et effrayant.
On sent la grande connaissance de l'œuvre de Lovecraft de Tanabe, non seulement dans l'installation de l'ambiance comme évoqué précédemment, mais aussi dans le rythme assez lent qu'il insuffle au développement de l'intrigue. Attention, ici la lenteur n'est pas synonyme d'ennui, au contraire, elle participe à la montée de l'angoisse à l'approche d'une horreur qu'on sent tapie dans les recoins.
Enfin, c'est le découpage cinématographique qui appose la touche finale à cette belle réussite qu'est L'abomination de Dunwich. On s'y croirait, le storyboard est déjà prêt pour une troisième adaptation, cette fois à l'écran.
En bref, si vous êtes amateur de récits horrifiques, où la mise en place de la peur se base principalement sur l'ambiance et va crescendo, n'attendez plus pour vous lancer dans L'Abomination de Dunwich, terminée en trois tomes.
Sources :